Le lancer du poids et le saut à la perche côtoient désormais lors des Jeux olympiques l’escalade et le breaking, introduits respectivement à l’occasion des jeux de Tokyo et de Paris. L’effort constant du Comité International Olympique (CIO) afin de concilier tradition olympique et reconnaissance des formes contemporaines du sport l’a mené cet été à prendre une décision plus audacieuse encore : la création des jeux du sport électronique.
Cet événement, distinct des Jeux olympiques classiques, qui aura lieu dès 2025 et jusqu’en 2037 en Arabie saoudite, ouvre ainsi les portes olympiques à une multitude de nouvelles disciplines compétitives, pour la plupart encore inconnues du grand public.
Nous sommes trois experts en droit des jeux vidéo, et nous vous proposons de décrypter ce qu’implique cette décision du CIO.
Les sports électroniques : une catégorie plurielle
Les sports électroniques peuvent être définis comme « l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de se confronter par l’intermédiaire d’un support électronique, et principalement le jeu vidéo ».
Cette pratique comprend donc une très grande variété de jeux à l’image des MOBA (multiplayer online battle arena) comme League of Legends dans lesquels deux équipes de cinq joueurs s’affrontent, ou encore les jeux de tir à la première personne comme Valorant, CSGO et Fortnite.
Le sport électronique comprend également bien sûr la pratique virtuelle de sports traditionnels tels que le basketball, le hockey ou encore le football, avec des jeux comme la franchise FIFA éditée par Electronic Art.
Les sports électroniques, des disciplines sportives à part entière ?
Les sports électroniques ne font pas l’unanimité. Certains ont même affirmé de manière provocatrice qu’ils ne devraient pas être qualifiés de sports. On avance alors qu’ils ne constituent pas des activités s’appuyant sur l’expression de qualités et de compétences physiques au même titre que les sports traditionnels.
La comparaison entre les sports traditionnels et les sports électroniques du point de vue de l’engagement physique et des habiletés qui sont déployées par les athlètes n’est pas pertinente pour plusieurs raisons. En effet, tous les sports, et en particulier ceux reconnus par le CIO, n’impliquent pas nécessairement un engagement physique important et équivalent.
Le tir est un bon exemple en ce sens. Sans compter que le CIO reconnaît également (sans qu’elles soient inscrites au programme officiel) d’autres activités qui a priori n’ont pas une dimension physique très importante. Pensons aux échecs ou plus étonnant, au bridge !
Les sports électroniques appartiennent en réalité à cette catégorie de sports où dominent la stratégie et la dextérité. On ne doit pas pour autant en conclure qu’aucun engagement physique n’est requis. [Une préparation adéquate et des qualités physiques] sont en effet nécessaires.
Aujourd’hui, un athlète professionnel et un joueur professionnel de sports électroniques consacrent tous deux d’innombrables heures à l’entraînement ou à l’élaboration de stratégies afin d’être compétitifs.
L’histoire des sports électroniques aux Jeux olympiques
Les sports électroniques sont d’abord entrés dans les évènements organisés par le CIO par la petite porte, au moyen de démonstrations comme celle organisée par l’International eGames Committee dans le British team pavillion lors des Jeux olympiques de Rio en 2016.
Il faut néanmoins attendre les Jeux olympiques d’hiver de 2018 à PyeongChang pour qu’un premier évènement électronique affichant l’emblème des Jeux olympiques soit organisé : le Intel Esports Masters. Lors de cet évènement, les joueurs se sont affrontés sur le jeu Starcraft II.
En 2021, le CIO franchissait une nouvelle étape en créant les Olympic Virtual Series. Il s’agit d’une compétition de simulations de sports présents au programme des Jeux olympiques. Finalement, lors des [ jeux asiatiques de 2023 organisés à Hangzhou en Chine], sept titres de sports électroniques ont donné lieu à une remise de médaille officielle. Parmi ces titres figuraient des jeux très populaires et en particulier le jeu League of Legends.
Entités privées versus fédérations
Le CIO doit néanmoins composer avec un écueil majeur puisque selon la Charte olympique, il ne peut reconnaître un sport que si celui-ci est administré par une fédération internationale.
Or, contrairement aux sports traditionnels qui n’appartiennent à personne, les jeux vidéo pratiqués de manière compétitive sont la propriété des compagnies qui en détiennent les droits de propriété intellectuelle. À ce titre, elles disposent du droit de contrôler les manières dont leurs jeux sont utilisés.

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Une compagnie qui exploite un jeu pourrait donc refuser que celui-ci soit intégré au programme des Jeux olympiques. Des négociations délicates attendent ainsi le CIO.
Quels jeux vidéo choisir ?
L’abondance des jeux disponibles dans l’univers des sports électroniques constituent également un défi pour leur intégration dans le giron des Jeux olympiques. Contrairement aux sports traditionnels qui reposent sur un ensemble relativement restreint de disciplines, le sport électronique englobe une multitude de titres appartenant à différents genres et plates-formes.
Il n’est pas aisé de déterminer quels jeux devraient être sélectionnés, d’autant plus que chacun d’entre eux possède sa propre communauté de joueurs et son propre écosystème compétitif.
La popularité et la durée de vie des jeux vidéo constituent également un problème dans la mesure où elles peuvent varier et mener à la disparition d’un jeu de la scène compétitive. Les Jeux asiatiques de 2018 incluaient par exemple six jeux. Deux d’entre eux seulement ont fait retour lors des Jeux asiatiques de 2022, tandis que cinq nouveaux autres s’ajoutaient au programme. Sans constituer un problème majeur, cette caractéristique des jeux électroniques doit être prise en compte.
La violence des jeux vidéo
Un défi plus sérieux concerne le contenu violent de certains jeux vidéo qui ne serait pas compatible avec les valeurs olympiques. C’est le cas en particulier des jeux de tir à la première personne.
So called « killer games » which promote violence or discrimination cannot be brought into accordance with the « Olympic values » and therefore should not be recognized by the Olympics, déclarait à cet égard en 2018 le président du CIO, Thomas Bach.
Il est ainsi fort probable que certains jeux pourront difficilement intégrer le programme des Jeux olympiques. La question mérite néanmoins examen, puisque certains sports aujourd’hui au programme des Jeux olympiques – pensons par exemple à la boxe – sont bel et bien violents.
Une nouvelle ère pour les Jeux olympiques
Le CIO a entamé une petite révolution en créant les jeux du sport électronique. Il s’est également donné les moyens d’élargir et de diversifier son audience, avec à portée de main de nouveaux marchés et de nouvelles sources de revenus (les droits de diffusion, notamment).
Pour l’industrie du sport électronique, cette inclusion va probablement stimuler l’investissement de la part de nouveaux commanditaires et offrir de nouvelles opportunités compétitives aux joueurs professionnels et aux équipes. Elle contribuera également sans doute à la normalisation des jeux vidéo en tant que pratique compétitive à part entière.
Il s’agit d’une belle revanche pour ce média qui n’a pas toujours eu bonne presse.