Il y a tout juste dix ans, un Américain, Zack Danger Brown, lançait une campagne de financement participatif sur la plate-forme Kickstarter pour… préparer une salade de pommes de terre ! Son objectif : collecter 10 dollars. Ce qui a commencé comme un projet sans grande envergure est devenu un phénomène viral, récoltant plus de 55 000 dollars. Le Monde, le Los Angeles Times, le Financial Times, plusieurs médias de renom se faisaient alors l’écho du succès inattendu de la campagne.
Le crowdfunding consiste pour un porteur de projet à avoir recours aux services d’une plate-forme d’intermédiation afin de proposer un projet auprès d’une communauté de financeurs en échange éventuel de contreparties préalablement définies. Moyennant 1 dollar, Zack Danger Brown s’engageait à dire à haute voix le nom de chacun des contributeurs tout en préparant la salade.
Parmi les différentes modalités de crowdfunding, le don avec contreparties rencontre un large succès : selon les données issues du dernier baromètre du crowdfunding, réalisé par Mazars pour l’association Financement participatif France, il représente en France 76,6 millions d’euros de collecte en 2023 au profit de 42 529 projets.
Le succès de la campagne de salade de pommes de terre de Zack Danger Brown est un exemple frappant de la manière dont l’absurdité et un coup de chance peuvent générer une viralité massive. Cependant, pour la majorité des campagnes, le succès repose sur des stratégies plus structurées que nous avons observées dans nos travaux de recherche.
Choisir la bonne plate-forme
Le choix de la plate-forme importe en premier lieu pour la réussite d’une campagne de crowdfunding. Chaque site a ses spécificités et sa communauté propre. Il est donc essentiel de comprendre ses ambitions et sa culture avant d’y lancer un projet. Même les plus généralistes comme Kickstarter, Indiegogo, Ulule ou bien encore KissKissBankBank offrent des environnements différents, chacun adapté à des types de projets particuliers.
Dans le domaine du financement participatif, il est d’ailleurs bénéfique de ne pas craindre la concurrence. En effet, plus une plate-forme attire des projets similaires, plus elle génère un « phénomène de concentration positive ». Cette accumulation de projets de même nature augmente la visibilité et l’intérêt des contributeurs potentiels, ce qui est avantageux pour chaque porteur de projet.
Bien présenter son projet
L’un des principaux défis en finance participative est de réduire l’asymétrie d’information entre le porteur de projet et les contributeurs. Fournir des détails et être pleinement transparent sur le projet aide à construire la confiance.
Il ne suffit pas toujours tel Zack Danger Brown de se contenter d’un laconique :
« En gros, je fais juste une salade de pommes de terre. Je n’ai pas encore décidé de quelle sorte ».
Des descriptions complètes, incluant des vidéos, des liens externes et des visuels attractifs, augmentent les chances de succès. Il est également important de présenter le ou les porteurs de projet, leurs compétences et leurs expériences significatives. Tout cela bien sûr sans compter la qualité de l’expression écrite, le ton du message et le choix des mots ! Un vocabulaire positif est à privilégier.
Un objectif financier pertinent et des « stretch goals »
Si des attentes modestes, comme les dix dollars sollicités par Zack Danger Brown, peuvent donner le sentiment que l’objectif financier est atteignable, il est important de s’assurer que la somme collectée permettra de réaliser le projet sans compromettre sa qualité. Il est recommandé de justifier l’objectif financier en détaillant les coûts estimés et en expliquant comment la somme collectée sera utilisée. Les contributeurs sont plus enclins à soutenir un projet lorsqu’ils comprennent comment leur argent sera dépensé.
Il faut y prêter particulièrement attention pour les nombreuses plates-formes qui fonctionnent selon le principe du « tout ou rien ». Comme on peut le lire sur la Ulule :
« Il est toujours possible de récupérer plus que votre budget… mais jamais moins ! Il vaut donc mieux se fixer le budget minimum requis, et travailler à le dépasser, plutôt que de se fixer tout de suite un objectif englobant tous les besoins et augmenter le risque de louper le coche. »
Comment continuer à susciter l’engouement, une fois l’objectif initial atteint ? La réponse réside dans la mise en place d’objectifs étendus dits « stretch goals ». Comme nous l’expliquons dans l’un de nos articles de recherche, les stretch goals peuvent impliquer, lorsqu’ils sont atteints, des fonctionnalités supplémentaires pour un produit, des versions améliorées, des ajouts exclusifs pour les contributeurs ou des événements spéciaux. Ils doivent être clairement définis et atteignables pour maintenir l’intérêt et l’engagement.
Les projets portés par Laurel, illustratrice et auteure de bande dessinée, sur Ulule sont particulièrement emblématiques de la mise en place de ce mécanisme et des clés de la réussite d’une campagne.

Déterminer le bon timing
Une bonne campagne, c’est aussi un bon timing. KissKissBankBank recommande de commencer les préparatifs deux à trois mois avant le lancement effectif de la campagne. S’agissant du lancement, il semble que certaines périodes soient plus propices que d’autres : de février à juin et de mi-septembre à mi-novembre même s’il faut aussi prendre en considération la saisonnalité éventuelle du produit lancé ou bien la date programmée de l’événement au cœur du projet de financement.
La durée de la campagne constitue également un facteur clé de succès. Une campagne trop longue peut diminuer le sentiment d’urgence et décourager de contribuer rapidement. Mais une campagne bien trop courte ne laisse pas toujours le temps à l’ensemble des contributeurs de franchir le cap. Sur KissKissBankBank, on peut lire que les collectes réalisées entre 15 et 45 jours ont un taux de réussite 10 % supérieur à celles réalisées en moins de 15 jours et en plus de 45.
Récompenser comme il se doit
Nos recherches ont aussi porté sur la construction des échelles de contreparties. Comment les rendre attractives pour stimuler les contributions ? De ce point de vue, la collecte record pour le jeu vidéo Noob constitue un cas d’école. Des contreparties, en mode « poupée russe », étaient disponibles pour toutes les bourses de 5 à 1 000 euros. Les récompenses étaient structurées de manière imbriquée et progressive, chaque niveau de contribution incluant les contreparties des niveaux précédents tout en ajoutant une nouvelle récompense.
Cependant, il est possible de concevoir différemment l’échelle des contreparties en évitant l’accumulation systématique et en privilégiant la différenciation. Cela permet de séduire la cible de manière plus personnalisée et adaptée à son budget et à ses attentes spécifiques. Pour susciter l’attrait rapide vers une campagne, certaines contreparties peuvent également être exclusives ou en quantité limitée comme l’illustre la campagne de financement participatif aux accents nostalgiques pour le retour du chocolat Merveilles du Monde.
Mobiliser et fidéliser son réseau
Le succès dépend enfin en grande partie de la capacité du porteur de projet à mobiliser son réseau pour promouvoir la campagne, atteindre un public plus large et interagir avec les contributeurs. Partager des mises à jour régulières et encourager les contributeurs à relayer la campagne avec leurs propres réseaux peut créer un effet de levier significatif. Les mises à jour peuvent inclure des nouvelles sur les progrès réalisés, des photos et des vidéos des étapes clés et des témoignages de membres de l’équipe ou de partenaires.
Une fois le projet finalisé, il convient là encore d’en informer les contributeurs. En septembre 2014, Zack Danger Brown tenait ainsi sa promesse et postait :
« Salut tout le monde ! J’épluche des pommes de terre et je lis les noms aujourd’hui ici à partir de 17 heures. Je lirai la liste complète des contributeurs par ordre alphabétique croissant de prénom. Donc, si vous vous appelez Aaron et que vous avez donné une contribution, vous serez parmi les premiers lus. Si votre nom est Zzron, comment le prononcez-vous ? De plus, vous serez parmi les derniers noms lus ».
Maintenir le contact avec les contributeurs après la campagne est essentiel pour fidéliser la communauté qui pourrait de nouveau être mobilisée. On identifie en effet des serials contributeurs tout comme des serials porteurs de projets. La maison d’édition Bandes Détournées a par exemple lancé 16 campagnes à succès sur la plate-forme Ulule depuis 2018.
Zack Danger Brown s’est, lui, récemment exprimé auprès de sa communauté de contributeurs :
« Vous recevez cette mise à jour car il y a 10 ans, vous m’avez aidé à préparer ma première salade de pommes de terre. Merci d’avoir rendu ma vie vraiment bizarre il y a 10 ans. Paix, amour et salade de pommes de terre. »