Près de 90 % des lacs d’Amérique du Nord se trouvent au Canada. C’est dire à quel point ils font partie de notre paysage. Ils constituent à cet égard des lieux essentiels pour la biodiversité du territoire et offrent des oasis de repos et de détente indispensables, entre autres vertus névralgiques.
Dans le contexte actuel, alors que le climat change et que les humains génèrent de multiples pressions sur l’environnement, les lacs jouent un rôle essentiel en tant que « sentinelles du changement ». Dans la mesure où ils réagissent plus rapidement aux changements environnementaux que les milieux qui les entourent, ils peuvent en effet servir d’indicateur, voire de lanceur d’alerte.
On observe justement que les lacs canadiens sont menacés sur de multiples fronts, de l’eutrophisation à la pollution, en passant par le surpompage des aquifères qui les alimentent, (pour n’en citer que quelques-uns).
Compte tenu des effets potentiellement dévastateurs de ces pressions, la manière dont les lacs réagissent à ces stress, et en particulier le rôle que jouent les eaux souterraines dans la médiation de ces processus, fait de plus en plus l’objet de recherches multidisciplinaires.

Cet article fait partie de notre série Nos lacs : leurs secrets, leurs défis. Cet été, La Conversation vous propose une baignade fascinante dans nos lacs. Armés de leurs loupes, microscopes ou lunettes de plongée, nos scientifiques se penchent sur leur biodiversité, les processus qui s’y produisent et les enjeux auxquels ils font face. Ne manquez pas nos articles sur ces plans d’eau d’une richesse inouïe !
En tant que professeure et doctorant au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), nous sommes particulièrement intéressés par l’étude du rôle des eaux souterraines dans le maintien des écosystèmes hydriques, notamment les lacs et les milieux humides. À cette fin, nos recherches s’appuient sur les données issues des sites expérimentaux de suivi à long terme et sur le développement de modèles qui décrivent le fonctionnement de ces milieux, tant dans les conditions climatiques actuelles que futures.
Bilan hydrique des lacs
Outre les composantes les plus apparentes du bilan hydrique des lacs, définies par les flux entrants (c’est-à-dire les précipitations, les débits des affluents et le ruissellement) et les flux sortants (notamment l’évaporation et les débits sortants à l’exutoire), les eaux souterraines peuvent jouer un rôle important en fournissant un apport relativement stable d’eau aux lacs.
La plupart des lacs sont généralement en étroite relation avec ce qu’on appelle les aquifères, soit des formations géologiques dans lesquelles les eaux souterraines circulent. En fonction des propriétés hydrogéologiques des aquifères et du contexte climatique dans lequel ils se situent, les connexions entre les lacs et les eaux souterraines peuvent varier dans le temps et dans l’espace.
Il est à cet égard particulièrement important d’étudier les aquifères qui entourent les lacs afin de quantifier leurs échanges. Dans la mesure où les chercheurs n’ont pas nécessairement accès à ces réseaux souterrains, ils ont développé de nombreuses techniques pour y parvenir.

Comment mesurer les eaux souterraines dans les lacs ?
Il peut sembler à première vue impossible de mesurer la contribution des eaux souterraines à un lac. Comment peut-on distinguer l’eau provenant de précipitations récentes de l’eau qui a séjourné dans un aquifère ? Les techniques pour estimer les flux échangés entre les lacs et les eaux souterraines sont soit globales, directes ou indirectes.
Une approche globale et relativement facile à mettre en œuvre pour quantifier la contribution des eaux souterraines à un lac consiste par exemple à estimer tous les autres termes connus du bilan hydrique. Cette méthode peut toutefois s’accompagner d’imprécisions assez importantes, à savoir que l’incertitude de tous les termes du bilan hydrique se propage à l’incertitude de l’estimation du débit des eaux souterraines.
Des mesures directes peuvent être réalisées à l’aide de ce que l’on appelle des compteurs d’infiltration qui sont composés de réservoirs positionnés sur les sédiments au fond d’un lac et qui se remplissent progressivement d’eau souterraine (ou sont vidés dans le cas des lacs qui perdent de l’eau vers l’aquifère environnant). Les volumes d’eaux souterraines sont mesurés et mis à l’échelle pour estimer la contribution de l’aquifère à l’ensemble du lac. En fonction des contextes géologiques et climatiques, les mesures directes ont montré que les eaux souterraines peuvent contribuer de manière importante au bilan hydrique de certains lacs.

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L’utilisation des traceurs indirects repose quant à elle sur la physico-chimie des eaux. Par exemple, lorsque les eaux souterraines circulent dans un aquifère, elles peuvent se charger en radon, un gaz noble qui provient de la dégradation de l’uranium présent naturellement dans la roche. La présence de radon est souvent utilisée pour estimer les contributions des eaux souterraines aux lacs.
De même, lorsque les eaux souterraines circulent dans un aquifère, elles ont une température relativement constante proche de la température moyenne de l’air. L’eau dans les zones où l’aquifère alimente le lac peut donc être plus froide durant l’été ou plus chaude durant l’hiver par rapport à l’eau d’autres portions du lac.
Les compteurs d’infiltration et les estimations indirectes des flux d’eaux souterraines atteignant le lac reposent sur des mesures ponctuelles qui ne sont pas nécessairement représentatives des échanges dans l’ensemble du lac. Pour cette raison, plusieurs techniques sont souvent mises en œuvre conjointement, afin de mieux contraindre les mesures.
Les changements climatiques et l’hydrologie des lacs
Grâce à la puissance maintenant généralisée des ordinateurs, les modèles numériques sont de plus en plus utilisés pour compléter les mesures prises sur le terrain. Des simulations effectuées avec ces modèles peuvent prédire les interactions entre les eaux souterraines et les eaux d’un lac dans des conditions de climat futur.
Des recherches récentes dans le sud du Québec ont montré que les changements futurs de température et de précipitations introduiront une grande incertitude en ce qui concerne la recharge des eaux souterraines. En conséquence, les lacs qui dépendent d’un tel apport pourraient voir leurs niveaux d’eau baisser, un problème potentiellement exacerbé par d’autres pressions telles que l’augmentation de l’évaporation (due à des températures plus élevées) et le pompage d’eau potable pour subvenir aux besoins croissants des populations.
Diverses propositions ont été formulées quant à la manière par laquelle le Canada peut faire face aux vastes répercussions des changements climatiques sur les ressources en eau. Les décisions politiques doivent s’appuyer sur la recherche, et la récente caractérisation des ressources en eau souterraine au Québec constitue un premier pas important dans la bonne direction.
De récents progrès dans la compréhension de la façon dont les systèmes d’eaux souterraines réagissent aux changements climatiques, l’un des domaines d’intérêt de notre groupe de recherche à l’Université du Québec à Montréal, permettront quant à eux de mieux orienter les stratégies de gestion intégrée de l’eau.